Ep 20 - Dans la guerre XVII

Nous avons toujours très peu d’ouvrage. Je brode des abat-jour pour la popote de notre médecin-chef qui est très agréable (le M.C.) et je passe mon temps de garde à rire des facéties de nos deux infirmiers, Bournisien et Pector qui sont littéralement pétris d’esprit. Ils sont amusants au possible et je me demande où ils vont puiser tous les trucs qu’ils emploient.

Les officiers ont eu leur séance récréative. La même que l’autre jour, à peine modifiée. J’ai chanté aussi. Puis j’ai participé à l’exécution du chœur final (l’Angélus). Il paraît que c’était très bien mais je n’entends pas quand je chante, ça m’ennuie.

Nous avons fait une marche d’entraînement qui était un peu là. Moi qui ne marche presque jamais, je me suis offert vingt kilomètres dans mon après-midi. Nous sommes parties cinq, n’étant pas de garde. A travers champs nous avons gagné Courcelles où j’ai inauguré une série d’exploits en passant au travers d’un pont de branchages que le génie avait jeté sur la Vesle, probablement depuis pas mal de temps car il était passablement vermoulu. Naturellement, comme toujours, j’ai mis mon pied où il ne fallait pas, les branches ont cédé et… pour un peu je prenais un de ces bains tout à fait imprévu et pas très agréable. Heureusement le bon génie des gens godiches m’a visiblement protégé et je n’ai passé qu’une jambe. J’ai senti la fraîcheur de l’eau sous ma semelle mais c’est tout. J’ai encore réussi à me tirer de là sans accroc.
De là nous sommes remontées par Vauxtin où nous avons rencontré un régiment d’artillerie qui allait prendre position. Sur la hauteur (car c’est très haut) nous avons admiré une superbe saucisse* qui se pavanait comme un gros proprio, au caprice de la brise.

Nous avons été voir le cimetière. Pauvre petit enclos ! Sur le flanc de la colline, il étage ses modestes croix ornées de la cocarde tricolore. Il y en a beaucoup, beaucoup et cependant l’ambulance n’est pas restée longtemps ici, en Avril ! Ils sont tous mélangés, lignards, chasseurs, zouaves, tirailleurs, même des artilleurs, un aviateur, deux aumôniers, des officiers. Tous réunis dans une même étreinte par la mort. Et l’impression navrante que l’on a en lisant sur quelques tombes cette mention « Soldat inconnu. » Comme pendant longtemps encore, les familles de ces malheureux espèreront, mais en vain ! L’horrible chose que la guerre.

Nous sommes redescendues par Paars comme le soleil descendait à l’horizon. Nous avons coupé à travers champs au pied de Bazoches et par les bois, nous avons rejoint la voie du train blindé, puis l’hôpital. Mais je ne suis pas habituée à ces genres d’exercices, j’ai beau lancer aux échos les accents des marches guerrières les plus entraînantes de mon répertoire, j’ai vaguement l’impression, tellement je me courbe, que bientôt mes genoux vont voisiner avec mon menton. Dans un dernier sursaut d’énergie, je me redresse en rentrant dans le camp juste comme la soupe sonne. Ca va, ça va ! je suis relativement satisfaite. Avec quelques exercices de ce genre si jamais les boches viennent jusqu’ici, nous sommes capables de faire Mont-Notre-Dame / Paris sans escale, avec le barda complet et toutes les vivres de réserve.

Les troupes anglaises arrivent, c’était bien vrai. Elles ne tiendront pas tout le secteur mais elles renforceront les quelques troupes françaises qui en ce moment assurent (bien imparfaitement, j’en ai peur) la sûreté du Chemin des Dames. Une ambulance anglaise doit fonctionner, faisant corps avec la nôtre, mais il n’y a encore rien d’officiel.