Ep 17 - Dans la guerre XIV

25 Décembre - La matinée est occupée à différents restes de préparatifs. A 1 heure de l’après-midi, les infirmières de l’autochir qui se sont réservé ce plaisir, apportent un arbre de Noël dans la salle des blessés et leur font une distribution copieuse de bonnes et belles choses. Jusqu’à la grand’mère qui a sa part et qui pleure de joie.

A 2 heures a lieu la remise des décorations avec prise d’armes, s.v.p. Sur la place des éclopés où ce genre de cérémonie se déroule toujours, nous sommes tous réunis et, ma foi, c’est presque imposant. Avec cela la neige s’est mise de la partie et tombe par flocons serrés. Les tambours battent, les clairons sonnent, les poilus présentent les armes, parole d’honneur, on se croirait presque devenus des z’héros. Le colonel remet tout d’abord la médaille militaire à un soldat et lui donne l’accolade. J’ai un moment d’émotion, va-t-il remplir cette petite formalité vis à vis de nous ? Pour sûr, je poufferai s’il le fait. Mais non, il s’est abstenu. Il nous met à chacune une petite épingle représentant deux palmes séparées par une croix rouge et … en avant la musique. Les tambours ferment le ban et voilà la séance terminée. Je me trotte vivement car le trac et la neige me donnent froid.

Et la petite fête commence. Elle a été simplement ravissante. Les enfants ont chanté délicieusement. Les infirmiers nous ont donné deux chœurs très bien exécutés. Les Rois Mages (Arlésienne) et la Vierge à la Crèche de César Franck. Moi-même, je ne m’en suis pas trop mal tiré, aidée par mon partenaire, monsieur Caron qui chante parfaitement.

Mais la plus jolie chose fut l’arrivée inattendue d’un superbe Père Noël vêtu de blanc et barbu à souhait qui débita aux enfants, ahuris de plaisir, de petits boniments savamment arrangés et qui les laissèrent muets de stupeur. Ensuite la distribution fut achevée et chaque assistant reçut un cadeau et tout le monde était ravi.

Pour clore la cérémonie, le Père Noël chargé de sa hotte et suivi de tous les enfants massés en cortège, se rendit à travers le camp tapissé de neige jusqu’à la salle des blessés qui étaient tous émus.

Le soir, toute l’équipe réunie par les soins affectueux de Mme Raoul-Duval, nous eûmes dans notre baraque de cantonnement un dîner d’une intimité familiale qui nous fit le plus grand plaisir. Nous y fîmes flamber un volumineux pudding et, pour avoir de la chance, chacune de nous en reçut un morceau encore tout flambant.

26 Décembre - Mme Raoul-Duval part en permission. Tout rentre dans l’ordre et la vie reprend son cours habituel.

29 Décembre - Les avions boches continuent à être de plus en plus assommants. Il est impossible d’avoir une soirée tranquillement éclairée. Je crois qu’ils le font exprès.

31 Décembre - L’année s’achève et elle emporte avec elle beaucoup de choses laides et bien peu de jolies. Elle a été si dure pour tant de pauvres êtres qu’on ne peut guère la regretter. Et, cependant, que nous réserve dans son mystérieux inconnu l’année qui s’avance et que chacun d’entre nous voudrait bonne ?

1er Janvier 1918 - L’aube vient de luire sur une nouvelle année. Je crois que tout le monde la regarde avec méfiance, cette pauvre débutante. Nous avons été attrapés si souvent depuis quelques temps que nous n’osons plus nous risquer dans de fous espoirs. Et cependant elle pourrait bien tout de même se décider à nous apporter la victoire, cette jolie dame.

En attendant nous nous distribuons les vœux de bonne et heureuse année les plus affectueux. Nos poilus sont un peu tristes de ne pas passer ce bon jour en famille. Mais enfin nous sommes arrivés à les dérider et la journée a été bonne.

Mme Breffort est allée, avec son aplomb accoutumé, présenter nos meilleurs vœux à monsieur le médecin principal, comme il était de notre devoir de le faire. Elle est si gracieuse et si affable que monsieur le principal a été charmé.

Ce soir nous avons bu le champagne, et allez donc !!!

La grand-mère quitte l’établissement et retourne au domicile conjugal à la grande joie de son époux.

Mademoiselle Rouhaud rentre d’un petit voyage circulaire que le ministère lui a offert en Alsace. Elle est mise à ma place salle 11 et moi, je défile à l’ouvroir. C’est amusant au possible d’être à l’ouvroir. D’abord on bouche des trous dont le commun des mortels n’a pas idée. Des journées entières il faut, pour raccommoder une chaussette, tellement elle est en mauvais état, la pauv’ vieille. Et puis on fait des études de mœurs très approfondies et ça ne manque pas de sel.

Rien de nouveau !! Le temps s’écoule normalement, entre les alertes aux avions que l’on ne compte plus et les raccommodages que l’on ne compte plus non plus. Le secteur est très calme mais l’on pense pour le printemps à une attaque en masse des boches qui vont avoir des quantités de soldats en renfort, du fait du lâchage russe. Les nouveaux services que l’on a reconstruit sur l’emplacement des baraques détruites par l’incendie sont splendides et pourvus de tout le confort possible. Dans quelque temps ils seront prêts à fonctionner et l’hôpital rouvrira. Mademoiselle Rouhaud repart en permission exceptionnelle. C’est moi qui reprend le service de la salle 11 mais le matin seulement.

C’est amusant ! Nous avons touché une bonne femme qui s’est fracturé une jambe en essayant de se mettre à l’abri dans les carrières au cours d’un bombardement. Elle a repris la place de la grand-mère puisque aucun autre service n’est ouvert.

La série est ouverte ; aujourd’hui on nous a amené une autre femme qu’un être introuvable a essayé d’assassiner. Tout à fait charmant ! Elle a reçu deux balles de revolver dans la tête et a un œil enlevé. Le rigolo de la situation c’est le défilé des autorités qui viennent quêter des renseignements pour essayer d’instruire l’affaire. On verra de tout pendant cette guerre.