Ep 2 - Le grand départ II

Et les cours de massage avec l’inénarrable Férié, où il fallait pendant des heures frictionner vigoureusement et à tour de rôle, le même membre au même malade qui aurait volontiers cédé sa place s’il y avait eu acquéreur. Et les cours de pharmacie faits par l’aimable Durin où l’on rigolait royalement ou bien par l’irascible Biéry qui nous parlait avec la même douceur que si nous avions été autant de redoutables belles-mères. Ah ! le digne homme, avec lui on n’avait pas envie de rire tout haut, car d’un regard, il nous aurait pétrifiées.

Et les cours d’administration (les plus durs) donnés pourtant d’une façon claire et précise par le Dr Girard-Mangin où nous avons appris entre deux sommeils (car quand nous avions veillé la nuit, il fallait soutenir une lutte héroïque avec nous-mêmes pour ne pas ronfler pendant la séance), nous avons donc appris la façon de laver les couvertures, le nombre de galons des officiers d’administration, la façon dont il faut se comporter quand un malade qui est sorti, rentre ivre, la façon de désinfecter les locaux, les gens et les choses, la nécessité d’être au mieux avec l’officier gestionnaire, la nature des différents contrepoisons et une quantité d’autres choses dont je ne me souviens pas, dans la suite, avoir jamais eu besoin.

Et la radio où l’on ne pénétrait que par infraction au règlement pour entendre la parole sèche et brève de Madame Curie ou de sa fille expliquer ce que l’on voyait à travers les fameux rayons X sans jamais pouvoir arriver à le voir soi-même. Et la salle d’opérations avec sa stérilisation si abondamment pourvue de tuyautage de cuivre qu’il fallait astiquer à en avoir le torticolis ; et ses rares opérations au cours desquelles le terrible professeur Hartmann vous foudroyait par-dessus ses bésicles coupées en deux, à la moindre maladresse.
Et le réfectoire où il fallait bondir au premier son de cloche sous peine de trouver les plats vides car le régime des restrictions brillait déjà d’un vif éclat à Cavell sous la terrible surveillance de Mademoiselle Wagner, une économe rigide qui avait bien le physique de l’emploi. A peine pouvions-nous sauver du désastre un peu de pinard et quelques tranches de pain avec la complicité de Madeleine et de Virginie, les deux petites servantes dont nous avons le meilleur souvenir.

Enfin le bureau du médecin-chef où nous n’allions qu’en de rares et terribles circonstances pour recevoir un ordre ou un savon.
Je n’oublie pas non plus le vestiaire où, de temps en temps, on allait attraper des totos* et faire des paquets bien carrés ; les arrivages de blessés où il fallait décharger l’automobile et brancarder à outrance, le bureau où nous avons pris quelques leçons de paperasserie, la corvée de linge sale où nous allions à tour de rôle, la cuisine où l’on se faisait attraper par le chef, la tisanerie où l’on barbotait dans la flotte en confectionnant quelques étranges mixtures, la corvée de pinard* où il fallait lutter avec le distributeur pour ne pas qu’il vous carotte. Que de souvenirs et j’en oublie peut-être, se rattachent à cet hôpital de planches où nous avons franchement gelé pendant trois mois malgré tous les efforts d’Arthur et de son épouse (les concierges) pour concilier la chaleur et l’économie de charbon, deux choses qui ne peuvent aller ensemble. Les deux faits saillants du stage ont été deux alertes aux Zeppelins où nous avons eu le branle-bas de combat dans toute sa splendeur, dîné à la lueur de simples chandelles et préparé notre testament. Les deux alertes se sont du reste terminées sans accident pour la bonne ville de Paris.

Il y avait environ trois semaines que nous vivions dans cette atmosphère, lorsqu’ eut lieu un second examen d’admission. De celui-ci, beaucoup sont restées avec nous jusqu’à la dislocation finale et ont été de bonnes et vaillantes camarades. Ce sont Mme Breffort, les deux sœurs Marthe et Elena Michaudet, Mesdemoiselles Pesqué et Terroine et, un peu plus tard, la petite Fabal.

Au bout de trois mois de séjour en ce lieu, arriva l’époque du fameux examen de sortie auquel nous ne pensions pas sans une religieuse terreur. Les malades qui étaient au courant de la chose, nous encourageaient de leur mieux et lorsque le jour fatal arriva, toutes nous avions encore une fois le cœur légèrement chaviré.