Ep 16 - Dans la guerre XIII

4 Novembre - Encore un mort, cette nuit ! Mon Dieu, comme je suis découragée !!!

Comme fait exprès pour me remonter le moral, le nombre de blessés devenant moindre par suite de la fermeture provisoire de l’hôpital nécessitée par l’incendie, ces messieurs décident de fermer une salle sur deux. Naturellement la mienne ferme et il me faut surveiller le transport des blessés dans la salle 22. Les hommes sont d’une humeur massacrante et moi je rousse à jet continu*. Heureusement, il ne m’en reste plus que très peu et ils vont relativement bien. L’autochir 18 reçoit l’ordre de rejoindre un nouveau poste dans les Vosges. Notre service va donc cesser d’exister. Nos blessés vont passer à l’autochir 19 et nous… Zut ! je suis à bout physiquement et moralement surtout. J’obtiens l’autorisation de partir en permission, laissant le soin de la liquidation à mademoiselle Jeanneau.

Je pars en permission. Le secteur est redevenu calme, l’hôpital ne fonctionne plus ou plutôt ne reçoit plus. Au dernier moment cela m’a fait du chagrin de quitter mes quelques blessés. Ils ont été bien gentils, même les deux mauvais sujets, Coëtmeur et Houdot qui m’ont pourtant fait bien enrager quelquefois.

Ma permission, qui dura vingt-cinq jours, s’écoula normalement. Je fus témoin, au cours de mon séjour à Bordeaux, des débuts de l’effort américain pour nous venir en aide. Des paquebots arrivaient chaque jour, amenant des soldats pour lesquels on avait installé des camps d’instruction ; des travaux se développaient avec activité le long de la Garonne entre Bassens et Lormont pour recevoir vivres et munitions. C’était la fièvre de l’arrière dans toute sa vigueur.

En rentrant de perme, je trouve de grands changements. Une seule salle, la 11, celle de Mme Raoul-Duval fonctionne avec quelques grands blessés restant de l’attaque dernière et les quelques accidents qui peuvent survenir à l’arrière immédiat ou dans les CID. Tous les autres services sont clos. Un ouvroir a été ouvert pour y remettre en état le linge de l’hôpital ce qui est très utile. Les infirmières disponibles y vont travailler chaque jour.

L’hôpital ne reçoit plus de blessés des lignes. Des équipes de soldats du génie sont occupées à la reconstruction de la partie de la formation détruite par l’incendie, reconstruction qui s’opère d’une façon merveilleuse, l’hôpital sera un vrai modèle après cela.

Mme Raoul-Duval, très occupée par les préparatifs d’une fête de Noël qui s’annonce superbe, a laissé la direction du service à mademoiselle Terroine, je suis désignée pour l’aider. Je ne connais donc pas de chômage pour cette fois-ci et j’entre en service de suite.

Le travail est très faisable. Il y a quelques grands blessés vraiment bien dignes d’intérêt. Les autres qui, pour la plupart n’ont presque rien, sont de grands enfants qui sont charmants lorsque l’on sait s’y prendre avec eux. Le plus drôle c’est qu’il y a, traitée dans la même salle, une bonne grand-mère qu’une fracture de la cheville retient à l’hôpital depuis de bien longs mois. On lui a arrangé un petit coin et cette bonne vieille au milieu de tous ces poilus c’est très drôle. Il fait très froid, les préparatifs de l’arbre de Noël marchent grand train.

Le temps s’écoule normalement au milieu d’une assez grande activité. Chaque jour, de nombreux colis arrivent de Paris et à chaque déballage ce sont de nouvelles exclamations. Le cantonnement, chez nous, est transformé en bazar, on y trouve de tout. La fête de Noël sera pour tous les poilus, infirmiers et majors présents à l’hôpital et pour les petits enfants du village. Un concert doit avoir lieu, les enfants et les poilus chanteront. Même moi, si je n’ai pas trop la frousse, je ferai entendre ma voix ce jour-là. Ca m’amuse mais ça me fait un peu peur.

Mademoiselle Terroine est partie en permission, c’est mademoiselle Bedts qui travaille avec moi. J’aime beaucoup mademoiselle Bedts. Nous faisons notre ouvrage en musique car le phonographe marche toute la journée ce qui égaie énormément les soldats.

Les boches nous font des peurs chaque soir régulièrement. Dès 4 heures de l’après-midi à la chute du jour, ils commencent à nous sonner et de suite on coupe l’électricité. Charmant, ce pataugeage dans le noir. Ce soir, nous étions à la répétition de chant chez monsieur Gailleur (le distingué organisateur de la partie musicale), voilà l’accident qui s’est produit. Nous avons continué à la lueur des bougies et au son des batteries anti-aériennes. Nous préparons aussi des chants pour la Messe de Minuit, enfin nous sommes très occupées.

Je reçois la visite du père et de la sœur du malheureux petit chasseur, André Poupon. Ils viennent pour voir la tombe de leur cher petit gars. Pauvres gens, combien leur douleur est navrante. C’est affreux et comme dans ces moments-là la croyance en Dieu est nécessaire. Nous avons eu un accident sur la voie. Un malheureux territorial* est tombé d’un train qu’il convoyait et a été tellement abîmé que malgré tous nos efforts, il est mort ce soir sans avoir repris connaissance. Le malheureux était marié et père de famille.

Notre fête prend tournure. L’arbre de Noël, ou plutôt les arbres car il y en aura plusieurs, sont installés sous la grande Bessoneau du camp des éclopés que l’on décore du mieux qu’il est possible avec branchages et oriflammes. Ca menace d’être superbe mais le froid pique et monsieur Gailleur a peur que son piano s’enrhume là-haut, aussi on va l’habiller. Mademoiselle Terroine est revenue et a repris sa place.

24 Décembre - Voici la veille de Noël, tout est prêt et chacun connaît son poste. Par exemple, au dernier moment, une complication surgit. Le ministère a décidé qu’il serait procédé demain à une remise de récompense aux infirmières, qui varie selon la durée de leurs services depuis le début de la guerre. Nous allons décidément avoir une journée bien chargée.

Minuit - Nous allons à la messe et la chapelle est trop petite pour contenir tout le monde. L’ enfant Jésus daignera-t-il cette fois-ci exaucer les prières de tant de ses frères humains qui osent le supplier malgré leur indignité ? Les chants ont bien été, sauf moi qui ai chanté comme un pied. J’étais trop émue, c’est malheureux d’être timide à ce point.