Ep 18 - Dans la guerre XV

Quand je le disais que ça allait continuer. Dans la même journée nous avons hospitalisé une jeune fille de 16 ans qu’une maladresse a jeté sous un chariot, lequel chariot en lui passant sur le corps a provoqué une fracture fermée de la jambe et une fracture ouverte du bras et, dans la soirée, une fillette de 7 ans atteinte de tumeur au genou qui, après recommandation au docteur, vient d’être mise dans un plâtre et est en observation.

L’aspect de la salle est très drolatique. On a tendu un drap en travers pour établir une séparation et notre service marche assez bien. Le plus amusant, c’est quand il y a bombardement. Les bonnes femmes ont le trac et poussent de petits cris apeurés. La môme ne veut pas dormir et pleure, alors comme il y a toujours dans les poilus quelque brave territorial père de famille, il va la bercer et tout s’arrange. Très curieux, ce campement mais mademoiselle Terroine se fait des cheveux, moi, ça m’amuse.

J’apprends que mes deux frères sont en permission. Mademoiselle Rouhaud rentre demain. Je demande ma perme qui m’est accordée. Ca a filé vite cette fois-ci. Aucune difficulté n’est faite, au contraire. On double les tours de permission en ce moment pour que dans quelques temps, s’il y a nécessité, l’effectif soit au complet. Me voici donc mise en route.

Cette fois-ci j’ai été sage comme une petite image ; j’ai pris juste dix jours, pas l’ombre d’un rabiot, et me voici revenue.

Pendant mon absence les nouveaux services ont été ouverts. Les quartiers BA et BC sont fermés et on va aussi y faire des réparations sérieuses. L’autochir s’est transportée avec son matériel et son personnel au nouveau groupe opératoire où ils sont très chiquement installés. Chaque chirurgien a une salle où il met ses opérés. Les blessés de la salle 11 sont dispersés et je suis obligée de faire une tournée générale pour les retrouver tous. Presque toutes mes compagnes sont occupées et l’ouvroir fonctionne toujours.

Mme Raoul-Duval se propose l’organisation dans l’hôpital d’un Foyer du Soldat destiné aux infirmiers qui sont absolument dénués de tout lieu de réunion. Elle me garde avec elle pour préparer cette installation et me voici en train de confectionner de charmants rideaux, de délicieux abat-jour et autres petites choses qui vont contribuer à rendre cette simple baraque un vrai petit paradis.

Le secteur est d’un calme stupéfiant. A peine, de temps en temps, une timide canonnade au loin et, un peu plus souvent, les passages d’avions allant bombarder Paris qui prend depuis quelques temps. Il y a très peu de blessés. Je continue mes confections. Mademoiselle Germain prépare la bibliothèque et monsieur Gailleur, armé de son cher piano, prépare une petite soirée musicale qui sera donnée pour l’ouverture du foyer, probablement le jour de Pâques.

Le beau temps semble revenir, voici le printemps et sous son apparence de calme, le pays tout entier s’attend à de graves événements.
Mme Raoul-Duval part en permission exceptionnelle pour faire quelques achats en vue de l’achèvement de l’organisation du foyer. J’ai fini les colifichets et la salle prend très bonne tournure. Maintenant je fais une robe pour une fillette hospitalisée.

Les boches déclenchent une attaque formidable sur le front de la Somme. Les Anglais, surpris, reculent à une vitesse diabolique. Bientôt les boches ont atteint et, en certains endroits, dépassé la ligne qu’ils occupaient en 1914. Des troupes françaises sont envoyées en renfort.

Une nouvelle stupéfiante nous arrive. Les boches bombardent Paris avec un canon à longue portée. Sur le moment tout le monde est un peu ahuri et a de la peine à le croire. Mais bientôt l’on s’y habitue et… au fond ça n’a rien de magique, une simple modification de l’obus lui permet de parcourir cette énorme (?) distance. C’est un tour de boche de s’amuser à penser à ça. En tout cas, s’ils ont pensé affoler Paris et la France, ils ont loupé la commande, car on commence déjà à la mettre en chanson leur « Bertha ». Impossible de la prendre au sérieux maintenant.