Ep 21 - Dans la guerre XVIII

Seconde marche d’entraînement ! Ca barde ! Celle-ci en petit comité. Nous avons été, mademoiselle Germain, Bournisien, Pector et moi, chercher du muguet dans la forêt de Dole. Elle est magnifique cette forêt, mais par exemple elle est un peu loin. Seulement ça a été très chic pour nous habituer à la dure. Nous sommes partis comme toujours à travers champs (dans cette zone tout est permis) et lorsque nous étions bien en plein champs, c’est-à-dire n’ayant aucun abri en vue à deux kilomètres à la ronde, un formidable orage s’est déchaîné et nous avons reçu une douche comme de ma vie je n’en avais encaissée. Nous avons bien essayé de presser le pas, mais comme le terrain était devenu très glissant, cela offrait quelques difficultés. Enfin nous avons aperçu la toiture d’une ferme se profiler à l’horizon, nous avons bondi dans sa direction et, comme nous arrivions enfin à proximité de l’abri convoité…

Naturellement la pluie s’est arrêtée et je crois même que le soleil nous a fait risette pour se ficher de nous. Sans nous décourager, nous avons continué notre chemin à travers les flaques d’eau qui étaient un peu fréquentes et nous avons atteint la forêt. Oh, elle est superbe ! Il y a de petits sentiers ravissants, des ombrages magnifiques, des champs de bruyère, un étang minuscule où les bouleaux se mirent et laissent traîner leur chevelure, de curieux groupements de rochers, toutes choses très, très jolies et alors, de véritables tapis de muguets. Il y en a partout et l’on ne sait où marcher pour ne pas l’écraser. Malheureusement, il n’est pas tout à fait fleuri et c’est pour nous une déception.

Nous rapportons, pour nous consoler, d’immenses brassées de genêts. Nous nous retrouvons, après avoir beaucoup marché, sur la grande route de Chéry-Chartreuve. Un passant nous a complaisamment indiqué la bonne route, autrement nous filions sur Paris pour nous arranger. Après un repos de quelques quarts d’heure à l’ombre des sapins, nous sommes revenus par les terres labourées, lesquelles terres étaient détrempées à souhait par l’averse. Et aïe donc ! Ca fait du bien. Aujourd’hui on a bien fait dix-huit kilomètres. Je deviens bonne pour la course à pied !

Des blessés anglais commencent à arriver. Comme leur ambulance n’est pas là, il faut leur installer des salles dans notre service. Mademoiselle Germain est enlevée de l’équipe chirurgicale pour prendre le service des blessés anglais. Mademoiselle Jeanneau a ses malades installés aux éclopés. C’est Fabal qui vient avec moi. Je suis colère ! Na !

L’ambulance anglaise arrive. Elle s’installe dans l’ancien quartier des B.C. dont les salles d’opérations ont été remises à neuf. Ils arrivent d’Italie, ces anglais. Comme leurs infirmières se plaisaient énormément sous le ciel bleu de ce pays, ils les y ont laissées. Ils en attendent d’autres d’Angleterre mais, d’ici leur arrivée, le service sera assuré, paraît-il, par des françaises. Qui va-t-on y mettre ?

12 Mai - Ce matin nous avons été par un temps épouvantable à Mont-Notre-Dame chanter la messe de Jeanne d’Arc en compagnie d’artilleurs d’un régiment au repos. C’était très bien !

Cet après-midi comme j’étais de garde aux P.O. et qu’il n’y avait rien à faire, je faisais une formidable partie de piquet avec Bournisien et ma foi, je crois que je gagnais, lorsque Mme Raoul-Duval arrive et me colle une de ces tuiles qui comptent. Je suis désignée pour prendre le service anglais avec mademoiselle Rouhaud. Comme il y a malades et blessés, je prends la médecine. Je suis furieuse, jamais un service ne m’a déplu comme je sens que celui-ci va me déplaire.

Nous sommes présentées au Colonel Chef d’ambulance qui a l’air charmant mais ne (speak) pas du tout (french), puis à nos docteurs respectifs. J’hérite du Capitaine Wood, qui heureusement, sort bien qu’avec difficulté quelques mots de français. Il a l’air très bien. On m’emmène dans la salle, on me présente les infirmiers qui me saluent dans un langage que je ne comprends pas du tout. Puis je vois les malades, plusieurs sont gravement atteints et je commence à avoir peur. Pas un de ces hommes ne parle français, les infirmiers n’en savent pas un traître mot. Seul, le docteur arrive à se faire comprendre et moi, qui ne sait pour ainsi dire pas un mot d’anglais… Mon Dieu, mon Dieu, qu’est-ce que je vais devenir ?