Ep 15 - Dans la guerre XII

29 Octobre - Ce soir, comme nous allions quitter le service, un infirmier s’approche de moi et me dit tout bas : « Mademoiselle, ne dites rien pour ne pas effrayer les malades mais il y a quelque chose qui brûle dans l’hôpital ! »

Tout était éteint et la salle close, les malades assez calmes. Je sortis, laissant mademoiselle Rouhaud à la surveillance. A peine dehors une lueur rougeoyante m’apparût juste en face de moi, mais la rangée de baraques face à la nôtre m’empêchait de voir autre chose. D’un bond, je traversai l’espace qui me séparait de l’allée principale et en y arrivant je poussai un cri de stupeur : l’assemblage de baraques qui formait le groupe opératoire où travaillaient deux autochirs (celle de monsieur Venin et celle de monsieur Laroyenne) ne formaient plus qu’un immense brasier. Le feu avait pris dans une salle de radio, à une couverture placée trop près du poêle et avait gagné du terrain avec une rapidité prodigieuse. En un clin d’œil, tout le groupe devenait la proie des flammes. Les secours s’organisèrent rapidement. Il ne fallait pas songer à arrêter l’incendie, c’eût été inutile. On s’occupa tout d’abord d’enlever les blessés des salles atteintes ou menacées et d’empêcher l’incendie d’atteindre les autres groupes. Heureusement le vent soufflait du côté de la campagne, au cas contraire je crois que tout l’hôpital aurait flambé.

J’allai chercher mademoiselle Rouhaud, notre service n’était pas menacé. Toutes les bonnes volontés s’employèrent hardiment à secourir les malheureux blessés qui, pour la plupart gravement atteints, étaient incapables du moindre mouvement et littéralement terrorisés, suppliant qu’on ne les abandonne pas, s’accrochant avec désespoir après le premier qui passait à leur portée et, tout à coup, lorsque leur tour venait d’être enlevés, disant si gentiment : « Non, je vous assure, prenez mon voisin d’abord, il est bien plus malade que moi. » Héroïques enfants !!!

Tout le personnel fut à la hauteur des circonstances. Sans qu’aucun ordre fut donné, le sauvetage fut organisé et exécuté et pas un homme ne resta dans les flammes. Toutefois, je dois à la vérité de dire que, de ces malheureux grands blessés qui furent tirés si précipitamment de leurs salles confortables pour être exposés au grand air frais de cette nuit de fin octobre et transportés ensuite dans des salles plus ou moins chauffées et organisées, beaucoup se ressentirent cruellement de la catastrophe.

Un peu plus tard dans la soirée, les belles gerbes de flammes qui montaient si victorieusement vers le ciel, diminuèrent faute d’aliment, mais pendant toute la nuit, le feu dévora encore en rampant. Dix-sept baraques avaient été détruites. De ma vie, je n’avais vu semblable brasier. L’incendie fut visible à plusieurs lieues à la ronde et les poilus au loin, pensèrent que nous avions été bombardés, ce en quoi ils se trompaient. Le plus chanceux fut le blessé que l’on était en train d’opérer quand l’incendie se déclara et qui, encore endormi, fut passé par une fenêtre, transporté aux B.A. où l’on termina l’opération (une amputation je crois) et qui guérit merveilleusement.

30 Octobre - Le général Pétain visite l’hôpital et passe dans toutes les salles. Son arrivée dans notre salle fut si précipitée que nous eûmes à peine le temps de rectifier la position. Mademoiselle Rouhaud qui avait un pistolet à la main se mit au garde-à-vous sans quitter son arme, ce qui nous a servi de distraction pendant toute la journée.

31 Octobre - Mademoiselle Rouhaud prend la cantine à la place de mademoiselle Pesqué qui part en permission. J’ai pour la remplacer une nouvelle arrivée, mademoiselle Janneau. Je touche un blessé américain, le premier étranger que je soigne. Il est tout plein gentil et pas gravement atteint, heureusement pour lui. Mademoiselle Janneau parle un peu d’anglais car moi, je nage superlativement pour cela et lui ne sait pas un mot de français. Il se nomme Hubert Wallower.

1er Novembre - Un pauvre petit français arrive, très gravement atteint. Il subit une opération terrible et d’une longueur effrayante, on nous le rapporte à demi mort.

2 Novembre - Le pauvre petit est mort, cette nuit ! Oh, l’effrayante chose que la guerre et comme elle est lourde de responsabilités ! Une cérémonie très touchante a eu lieu cet après-midi au cimetière. Un monument avait été édifié, le médecin principal a prononcé une allocution et tout le personnel disponible y a assisté.

3 Novembre - Un autre blessé arrive en très piteux état, il souffre atrocement d’une jambe broyée. On lui donne de la morphine, beaucoup.