Ep 19 - Dans la guerre XVI

Je suis en train de mettre un costume de soirée en satin et tulle paille, à point, pour un infirmier qui doit faire la dame au concert.

Nos chers petits poilus, ils les ont encore arrêtés cette fois-ci. Je le savais bien ! Braves petits gars ! L’attaque boche se ralentit, elle n’est pas encore enrayée mais bientôt elle le sera. Tout de même, comme il doit en tomber de ces pauvres enfants. Et dire que c’est pour nous sauver, nous qui ne fichons rien !

Un train de blessés venant d’Estrée Saint Denis, menacé par les boches, est arrivé ce matin. Les pauvres gars voyageaient depuis bien longtemps et étaient bien fatigués. Heureusement, notre hôpital fonctionne de première ce coup-ci. Tout le monde s’y est mis et, à minuit, tous étaient opérés et placés dans un bon lit. J’ai tenu le service de préparation des BA. Mon Dieu, comme ils sont admirables et comme je les aime, nos soldats.

Naturellement l’inauguration du foyer a été différée mais « l’établissement » est quand même ouvert et je crois que les clients ne vont pas manquer.
On décide de faire fonctionner de nouveau les B.A. Nous sommes envoyées, trois équipes chirurgicales. Avec mademoiselle Germain, je fais partie de celle du médecin-chef, monsieur Turin. Nous réorganisons l’ancien pavillon, mais pour peu de temps. Dans quelques semaines, un pavillon opératoire tout neuf et pourvu d’une installation ultra chouette fonctionnera. Je m’occupe de la stérilisation, mademoiselle Germain de la salle d‘opérations. On ouvre deux baraques d’hospitalisation, une pour les français, une autre pour les boches prisonniers.

Maintenant une accalmie se produit sur le front de bataille, les boches ont loupé leur coup. Ils se reforment. Où vont-ils frapper cette fois ? Il fallait nos petits français pour les arrêter. Y a pas d’erreur, ils sont un peu là, nos gars.

Nous assurons toujours nos gardes avec le même stoïcisme 24 heures sur 48, une équipe ayant été dissoute. Il n’y a que très, très peu de blessés. La situation ne s’aggravant pas, on décide de donner la fête d’inauguration qui avait été retardée.

La fête a eu lieu, elle a été très bien réussie. Quelques-uns des infirmiers ont de très jolies voix et vraiment le tout était empreint de la plus franche cordialité. J’ai chanté avec monsieur Caron, ça n’était pas trop mal. Mais comme c’était seulement pour les soldats, les officiers sont venus en députation demander à Mme Raoul-Duval de vouloir bien redonner la séance à leur salle de réunion. C’est promis pour dans quelques jours.

Ce soir nous avons discuté la possibilité d’une avance boche de notre côté. Il paraît que ce serait très possible. Au fond, ça ne manquerait pas de logique car, maintenant qu’ils ont raté la Somme et, par conséquent, Calais, Dunkerque qu’ils visent depuis si longtemps, ils pourraient bien se lancer dans la direction de Paris et nous en sommes très près. Chacune de nous émet son avis sur les précautions à prendre et sur la conduite qu’il faudrait tenir, la cas échéant. C’est amusant car je suis sûre que si jamais l’évènement se produisait, personne ne songerait à exécuter son programme.

On parle beaucoup de l’occupation du secteur par les troupes anglaises, est-ce vrai ?